2007 – série en cours – 30 x 30 cm – impression pigmentaire
dossier de présentation téléchargeable
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Étrangers et proches
« À l’infini, des traits, des peaux, des âges, des charmes, des rides, des plis, des postures, des accents, des faces effacées, des figures fugaces, un plaisir multiplié de portraits non exposés, emportés vers les lointains inaccessibles de leurs soucis, de leurs pensées, de leurs images très intimes. On y touche sans y toucher, on est touché. On observe à la dérobée, on observe le dérobement même. On est voyeur à l’aveuglette. Tous les regards se longent et se plongent dans leurs absences respectives. Sans cesse renouvelés, substitués et irremplaçables, ils sont les uns pour les autres à la fois égarés et indiscrets. Ils sont l’un pour l’autre étrangers, des intrus, des importuns, et l’un de l’autre proches, si ressemblants, [… ].
Jean-Luc Nancy, la ville au loin.
Traditionnellement, le portrait en peinture est la représentation d’une personnalité en plus d’une représentation physique. Le regard du portraitiste relève d’une forme de maîtrise. Il sait de qui il parle, il sait ce qu’il veut en dire. Cela se vérifie dans la mise en scène plastique des personnages : souvent ceux-ci ressortent au centre d’un décor censé préciser leur situation sociale ou leur psychologie.
A la fin du 19ème ces parti-pris sont battus en brèche : les personnages sont renvoyés sur les bords de l’image, voire décapités, le décor devient un fond flou. Le cubisme ira plus loin : la relation forme/fond, c’est à dire personnage/décor, se trouve éclatée.
La photographie s’est d’abord inspirée de ces poncifs pour s’en détacher de par ses potentialités techniques : apparition du flou, instantané. Malgré cela, dans la photographie documentaire, le saisissement d’inconnus s’il peut apparaître comme un témoignage objectif, présuppose, une lecture déjà construite du réel, un arrière-plan « humaniste ».
Ces approches à l’ère de l’extrême vitesse, des neurosciences et de la biologie cellulaire ne me paraissent plus de mise.
Voici ce qui est en jeu quand je photographie des anonymes :
- Comme ils ne sont, comme moi même, qu’un agrégat impermanent, il me faut les intégrer visuellement à l’espace que je partage avec eux. D’ailleurs, ce que j’ai vu n’est que leur collision avec quelques photons renvoyés vers ma rétine et mon capteur photographique. Sentiment océanique du monde.
- La conjoncture espace/personne entraperçue aurait pu ne jamais se produire. Mon image cherche à rendre compte d’un temps démultiplié incluant l’instant qui a précédé le soudain jaillissement de cette occurrence et celui où la rencontre devient image, image certes figée mais qui doit demeurer instable.
- Ces anonymes doivent le rester. Je ne cherche pas à avoir d’opinion sur eux, à savoir qui ils sont. Ils étaient là. Ils auront disparu de la scène précaire dans laquelle je les ai saisis, quelques secondes, quelques minutes après que leur image ait été enregistrée. Il ne reste qu’une présence.