La Terre est de plus en plus territorialisée. On la borne par des frontières nationales, régionales, locales. On subdivise, on aménage, on valorise, on optimise ses territoires. Derrière tout cela pointe une idée de possession, de finalité : on possède un terrain constructible, une surface agricole, une langue. A sa façon, le touriste s’approprie aussi la planète en photographiant des sites dits remarquables.
A cette façon d’habiter le monde, j’en préfère une autre : occuper par le seul regard les espaces construits, les paysages, les percevoir comme de simples balises pour un ailleurs, sans limite, hors des lieux communs.
S’ouvrent les fenêtres qui se ferment : il y a deux DE
Le travail photographique de Didier Lemarchand, n’a de cesse de questionner ce que l’on voit du monde. Avec cette série Lieux, il nous invite à nous demander où nous sommes, ici, autant qu’à Barcelone ou à La Fère, à Gand ou à Cayeux. Mais sommes-nous où nous croyons que nous sommes ? Qui croyons-nous être quand nos yeux se posent sur ces images ?
Il y a deux DE, ce n’est pas un bégaiement, plutôt une sorte de lapsus de l’image, celle qui dit et celle qui se dit, celle qui montre et celle qui se montre.
Le DE du dedans, mais est-ce le dedans que l’on voit ou, ce que le dehors nous permet d’entrevoir ?
Le DE du dehors, mais sommes-nous encore dehors quand le dedans à ce point nous absorbe ?
Point de départ ou point d’extraction ?
Ces « fenêtres » du monde traitent de nous, de notre altérité ontologique, je suis du dedans autant que du dehors qui me façonne, je ne sais pas toujours d’où part mon regard, d’où émerge ma pensée, de moi dedans ou de moi dehors.
Ces « fenêtres » plus ou moins closes, laissent passer le souffle du dehors, la respiration du dedans.
Quand on y revient, parce qu’on y revient, on ne sait jamais retrouver le point où l’on pensait être, notre image ainsi glisse et se renverse et le « monde » trouve de nouvelles perspectives.
Denis Dormoy, oct. 2015 – à l’occasion de l’exposition Lieux à l’ESPE de Beauvais